JP le jour, PJ la nuit

Publié le 9 janvier 2024 par Francois

Il a, pendant 29 ans, été l’une des principales figures du Collège. Jean Pierre Marinx, arrivé à la préfecture en septembre 1993, a choisi de mettre fin à ses fonctions durant l’année 2022-2023. Lui-même ancien du Collège (6A 79), il y a connu des générations d’élèves et a été le témoin, tout autant que l’acteur, de la vie et de l’évolution de notre école. Car, et c’est ce qui frappe dans l’entretien qui suit, peu de gens ont à ce point mêlé leur destin personnel à celui du Collège d’Erpent. À l’heure où Marie-Cécile Samson lui succède à la préfecture, nous sommes revenus avec lui sur ce parcours hors norme.

Tout le monde ne le sait peut-être pas, mais avant d’avoir été le préfet d’éducation du Collège, tu y as d’abord été professeur. Peux-tu revenir sur ces premières années dans l’enseignement ?

D’une certaine manière, dès l’instant où j’ai fait le choix, en rhéto, d’étudier l’histoire, j’ai eu la conviction que je serais un jour prof au Collège. J’ai même commencé à y enseigner alors que j’étais encore étudiant : je finissais ma deuxième licence en histoire à Louvain-la-Neuve. C’est le père Marc Colleye, alors animateur spirituel et dont j’étais resté très proche, qui m’a rappelé car on cherchait à l’époque des profs de religion. Puis, à la fin de mes études, j’ai dû faire mon service militaire, qui fut une expérience enrichissante. À mon retour, il n’y avait plus de place au Collège et j’ai donc été engagé à l’Institut de la Providence à Ciney. Deux ans plus tard, Guy Carpiaux, alors nouveau directeur du Collège, m’a rappelé pour savoir si j’étais toujours disponible. Les choses redevenaient normales, quoi ! C’était à la rentrée 1987-1988.  J’ai alors repris quelques cours d’histoire, mais surtout des cours de religion.

Tu viens d’évoquer le père Colleye, en quoi a-t-il été quelqu’un d’important pour toi ?

Sans lui, je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui, c’est certain. Quand j’étais encore élève au Collège, et en pleine recherche spirituelle, il a évoqué quelques citations des pères de l’Église qui m’ont réconcilié avec elle. En particulier cette phrase de Saint-Augustin : « Dieu est à genoux devant l’Homme », ce qui signifie que si tu ne fais pas ce que tu pourrais faire, Dieu ne le fera pas à ta place : Il attend de toi que tu le fasses. C’est fondamental. Je pourrais aussi évoquer « Écouter la musique profonde de l’être en soi toujours jaillissant, et danser sa vie au son de cette musique »

Et lorsque tu reviens au Collège, l’une de tes premières missions est l’encadrement des retraites, précisément avec le père Colleye.

Oui, j’ai un souvenir assez précis de ma première retraite avec des 5e, à Brûly-de-Pesche, où le père Colleye m’avait appelé d’urgence pour que je vienne lui prêter main-forte avec un groupe un peu difficile. Je me vois encore un matin de novembre, après une nuit agitée, au volant de ma petite Citroën Dyane, me frayant un passage derrière le chasse-neige (il neigeait encore à l’époque !), pour rentrer au Collège le vendredi et donner mes heures de l’après-midi. Lors de ma seconde retraite, par contre, je me suis retrouvé tout seul, là aussi avec un groupe assez turbulent où j’avais passé deux nuits à veiller dans la cage d’escalier. À l’aube, alors que tout le monde dormait enfin, je suis parti me promener seul dans la forêt et en revenant vers le gîte, j’ai shooté dans une pierre en me demandant ce que je fichais là, à jouer les garde-chiourmes. Cette pierre, veinée de quartz en forme de croix, m’a lancé un clin d’œil. Je l’ai prise et je me suis dit que je voulais malgré tout continuer dans l’enseignement. Je suis convaincu que dans la vie, l’on reçoit des signes, et qu’il faut les entendre. J’ai reçu beaucoup du Collège, et je me suis dit que c’était à mon tour de donner aussi. Depuis ce jour, j’ai toujours gardé cette pierre sur moi. Elle m’accompagne partout, sauf en Grèce, parce que j’ai trop peur qu’on perde mon bagage !

Tes premières années dans l’enseignement sont aussi marquées par les grandes grèves de 1990. Tu y as pris part ?

À la base, les grèves, c’est pas trop mon truc. Je n’étais pas du genre à monter sur les autopompes ou à faire des coups d’éclat – les manifs étaient beaucoup plus violentes à l’époque, la police n’hésitait pas à matraquer et je vois encore certains profs ensanglantés devant la Maison de la Culture à Namur. Mon truc, c’était d’essayer de faire passer des messages en utilisant des visuels et des slogans originaux susceptibles de se retrouver en photo dans la presse. C’est comme ça que j’ai fait la une de Vers L’Avenir, de La Libre Belgique et du Soir, avec des slogans comme « Elio le Démago, l’école ne sera pas K.O. ». Ma photo s’est même retrouvée, dans la rétrospective 1990 du Vif-L’Express, à côté de celles d’autres figures qui avaient marqué l’année comme André Cools, Wilfried Martens ou le Roi Baudouin !

Un jeune manifestant repéré par Le Soir

Au fond, quel a été l’élément déclencheur de ces grèves ?

Le gouvernement de l’époque avait fait des coupes massives dans le budget de l’éducation. On oubliait complètement tout ce qui avait fait les belles intuitions du rénové, et qui consistaient notamment à avoir moins d’élèves par classe, à proposer plus de choix dans les options. Il faut se souvenir qu’on a eu au Collège des cours de photographie, ou d’architecture. Beaucoup de profs ont perdu leur emploi suite à ces restrictions budgétaires, sacrifiés au nom des notions de rentabilité et de performance, qui ont commencé à être introduites à cette époque. Qu’il ait fallu faire des économies, peut-être, mais tout cela s’est fait d’une manière extrêmement brutale.

Et puis, en septembre 1993, tu deviens préfet d’éducation. Une première dans un Collège qui jusque-là n’avait jamais connu que des pères jésuites à ce poste !

Effectivement, l’annonce faite par les Jésuites de ne pas remplacer le préfet de l’époque, Albert Schmitz, par un autre père, a un peu fait l’effet d’un coup de tonnerre. J’étais déjà à ce moment le représentant du corps professoral au conseil d’administration, et j’ai été poussé dans le dos par d’autres profs, et puis surtout par Jean-Pierre Gosselin et le père Jadot, avec une énergie que je ne leur connaissais pas. C’étaient deux personnes que j’appréciais énormément, et d’une certaine manière je me suis dit qu’ils ne pouvaient pas se tromper complètement. Et puis il y avait le père Colleye, qui lorsque j’étais encore en rhéto avait dit de moi devant le président de l’association de parents : « Lui, il sera un jour directeur du Collège ». Il s’est trompé, je n’ai été « que » préfet !

Tu deviens donc le premier préfet laïc du Collège, et qui plus est préfet « d’éducation » et non plus de discipline.

En réalité c’est Jacques Daiche qui a initié ce changement. Alors qu’il était connu pour être le préfet de discipline le plus rigoriste qui soit lorsque le Collège était encore à Namur, il a complètement changé d’approche quand le Collège est monté à Erpent. Par exemple, il a essayé de ne plus mettre en retenue, pas même moi qui ai fait les pires conneries ! S’il y a quelque chose qui me frappe dans l’histoire du Collège, c’est qu’on a toujours laissé aux progressistes, à ceux qui étaient un peu à la marge, la possibilité de s’exprimer et d’initier de grandes mutations. C’est le cas de Guy de Marneffe, à qui les Jésuites ont donné carte blanche pour inventer un nouveau Collège, avec une approche pédagogique tout à fait différente de ce qui se faisait à l’époque. Ce n’était pas gagné d’avance, il a dû se montrer convaincant, il a convaincu, et il a fait le Collège tel qu’il est aujourd’hui.

Septembre 2021, avec l’équipe des éducateurs

Concrètement, en quoi le travail d’un préfet d’éducation diffère de celui d’un préfet de discipline ?

Le sombrero est beaucoup plus large. Ce qu’un jésuite faisait naturellement de par son ministère, le préfet d’éducation doit le faire aussi, mais différemment. Dès le premier jour, j’ai décidé de travailler porte ouverte, et pas comme un préfet qui convoque les gens dans son bureau et met des punitions. Il faut être dans la présence, dans la bienveillance et dans la disponibilité. Très vite, j’ai été amené à gérer des questions qui n’étaient pas purement disciplinaires. Je me souviens de cette maman d’élève qui m’a téléphoné à 21h30 pour se confier à moi parce qu’elle n’en sortait pas avec son fils qui était dans les drogues dures. Je suis allé sur place, on a discuté, et en fin de compte, tout en restant cohérents avec nos limites, on est parvenu à faire en sorte que le gars sorte diplômé du Collège. Je songe aussi à cette autre maman qui, suite à un divorce, avait perdu tout droit de contact avec ses enfants. Pendant plusieurs années, elle m’a téléphoné à chaque bulletin pour connaître les résultats de sa fille et de son fils. Je lui lisais l’intégralité des notes et des commentaires. Lorsque son deuxième enfant est sorti de rhéto, nous avons fondu en larmes tous les deux. Ça été notre dernier entretien, je n’ai plus eu de ses nouvelles depuis. Je n’ai pas le souvenir, de toutes mes années passées à la préfecture, d’un moment plus fort émotionnellement que celui-là.

Premier préfet laïc, tu as aussi été le premier préfet d’éducation à avoir toi-même des enfants…

C’est certainement un point positif, cela aide à comprendre pas mal de choses. Comme mes six fils ont eux-mêmes été plus ou moins longtemps élèves au Collège, le tout était de s’assurer qu’ils n’en souffrent pas. J’ai aussi eu beaucoup de chance d’avoir une épouse qui me permette d’être aussi présent au Collège, parce que c’est un boulot extrêmement prenant.

Raconte-nous à quoi ressemble la journée-type d’un préfet d’éducation ?

Arrivée au Collège le premier, généralement vers 7h30, parfois avant. Retour bien après la fin de la 8e heure. Et le soir, deux heures à dépouiller, sur la table du living, tout ce qui m’a été remis au cours de la journée par les éducateurs : billets d’absence, justificatifs, etc. C’étaient des journées de fou !

Ton travail a-t-il changé au fil du temps ?

Le travail a changé radicalement, parce que le monde a changé radicalement. J’ai commencé à une époque où, par exemple, les élèves pouvaient encore fumer très librement. C’est moi qui ai été à l’origine de la création d’un « carré fumeurs » sous le préau, puis à l’origine de son déplacement un peu plus loin, et enfin de sa suppression pure et simple ! Les GSM, puis les smartphones, ont également eu un impact considérable. Mais ce qui a le plus changé, ce sont les parents. Auparavant, ce que disait le Collège était parole d’évangile. C’était sans doute excessif, mais désormais, c’est tout le contraire. Les parents prennent, par principe, le parti de leur enfant. Une tricherie, par exemple, est quasi systématiquement contestée : l’enfant est cru sur parole et c’est au professeur d’amener des preuves.

Le préfet, un membre de l’équipe de direction ; ici aux côtés de M.-A. Beaufays et S. de Brabant

Les jeunes ont-ils changé, eux-aussi ?

Ils vivent dans un monde qui est beaucoup plus complexe que celui que j’ai connu à leur âge. Il y a chez eux beaucoup plus d’inquiétude qu’auparavant. Il y a toujours eu chez les jeunes des moments de stress total, alternant avec des moments de totale insouciance. Ce ne sont juste pas les mêmes moments.

Y a-t-il une chose à ne jamais faire avec un jeune, disons, de 16 ans ?

L’accuser à tort. C’est la pire des choses. La question de l’injustice est centrale. Dans le doute, il vaut mieux très certainement s’abstenir, quitte à passer pour un rigolo, que de sanctionner par erreur.

À côté de tes fonctions de préfet d’éducation, beaucoup se souviennent de toi, et peut-être surtout, comme de l’accompagnateur, puis de l’organisateur, du voyage en Grèce…

Cela m’ennuie, parce que la Grèce, c’est deux semaines sur une année scolaire, ce n’était pas l’essentiel de mon boulot, qui d’ailleurs était consacré aux six années du secondaire. C’est la cerise sur le gâteau, peut-être, mais ce n’est pas le gâteau ! D’ailleurs, j’ai très longtemps été prof, puis préfet, sans participer au voyage en Grèce.

Une complicité légendaire avec le père Gilson
Repas en Grèce avec les super-délégués 2022

Quand es-tu reparti pour la première fois en tant qu’accompagnateur ?

En 2000, à mes quarante ans. Jusque-là, je m’étais surtout occupé de mes enfants. Et ce premier voyage a vraiment été le pire de tous ! Les autres accompagnateurs étaient pour la plupart assez âgés et ceux-là ne savaient absolument pas comment s’y prendre avec des jeunes rhétos de l’an 2000. Je me suis donc retrouvé seul avec Marie-Cécile Samson, qui venait d’arriver au Collège, à encadrer certains élèves extrêmement difficiles. On a vraiment dû gérer des situations très compliquées. À notre retour, on s’est dit tous les deux : « On a fait le voyage cette année, si on en fait un deuxième comme celui-ci, il n’y en aura pas de troisième ».

Et pourtant, tu as participé à tous les voyages depuis l’an 2000. Tu en es même devenu l’organisateur. Pourquoi ?

D’abord parce que je suis historien de l’Antiquité, et que je garde moi-même un souvenir ému de mon propre voyage de rhéto. Ensuite, parce que, de manière très égoïste, ce voyage était une respiration dans mon année scolaire. On en revient crevé, mais c’est une fatigue totalement différente de la fatigue « mentale » de la préfecture. Cela a cependant été moins vrai à mesure que je suis devenu le responsable du voyage, qui est aujourd’hui un truc énorme à organiser, auquel on ne peut plus se contenter de consacrer quelques heures de temps en temps.

Quel est ton souvenir le plus marquant de ces très nombreux voyages en Grèce ?

Le souvenir qui me marque le plus, a posteriori, remonte en fait à mon propre voyage de rhéto, en 1979. C’était l’époque « héroïque », où il y avait plein de couacs et où on ne trouvait pas toujours assez de place dans les auberges de jeunesse, qui parfois n’avaient même pas l’électricité. À Olympie, il a fallu que quelqu’un se dévoue pour dormir avec un accom-pagnateur. Je me suis porté volontaire, et je me suis retrouvé dans la chambre du chef de voyage, André Preudhomme ! Le soir, en rentrant, je l’ai trouvé qui était déjà en train de dormir comme un loir. Il avait laissé un bout de papier sur mon oreiller où il avait écrit : « Jean Pierre, veux-tu vérifier si les 4 filles de la chambre 3 et les 6 garçons de la chambre 5 sont rentrés ? ». Je ne sais plus si j’ai effectivement été vérifier qu’ils étaient bien là, mais j’ai toujours le papier ! Cela m’étonne encore aujourd’hui qu’André Preudhomme, qui m’avait collé pour tricherie et qui n’avait vraiment aucune raison de me faire confiance, m’ait confié ce rôle-là. J’y repense chaque fois que je suis confronté à une difficulté lors du voyage et je me dis : « tu n’es pas là pour rien ».

Aujourd’hui, c’est Marie-Cécile Samson, dont on vient justement de parler, qui te succède à la préfecture. Lui as-tu donné des conseils particuliers ?

C’est elle qui me dit qu’elle suit mes conseils, même si pour ma part, je ne pense jamais avoir rien formulé en ces termes. Elle me téléphone parfois. Son organisation est différente de la mienne, mais j’ai toujours su qu’on était sur la même longueur d’ondes quant aux valeurs et à la manière d’accompagner les élèves en difficulté, et c’est ce qui compte. Je suis heureux d’avoir mené à bien, avant de quitter la préfecture, le renouvellement progressif de l’équipe des éducateurs, qui est très différente aujourd’hui de celle que j’ai connue quand j’ai pris mes fonctions.

Après avoir été préfet d’éducation pendant 29 ans, comment aimerais-tu qu’on se souvienne de toi ?

Je vais répondre par une pirouette. On ne sait jamais quand on touche un élève, ni en bien, ni en mal. Donc, en voyant ou en entendant mon nom, j’aimerais surtout que cela évoque chez les élèves quelque chose de vécu pour eux. Quelque chose que je connais ou que j’ignore, d’ailleurs. C’est la magie des relations humaines. Il y a quelques temps, un élève m’a invité à son mariage. Je lui ai demandé pourquoi il avait tenu à m’inviter, et il m’a parlé d’une conversation que nous avions eue tous les deux, et qui l’avait beaucoup marqué. À vrai dire, je ne m’en souvenais pas, mais pour lui c’était un souvenir important. Et pour d’autres, le nom de Jean Pierre Marinx évoque peut-être de mauvais souvenirs, chose que j’admets tout à fait !

On imagine que tu vas garder des liens avec le Collège…

Oui, je continue à organiser le voyage des rhétos en Grèce, en tout cas jusqu’en 2025. Je compte aussi retourner à ma passion première pour l’histoire, en m’attaquant aux archives des Anciens et du Collège que j’aimerais bien remettre en ordre et, pourquoi pas, y faire quelques trouvailles intéressantes. Et puis je reste un membre actif de l’Amicale des Anciens, bien entendu !

Propos recueillis par Arnaud Hoc

 

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